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La pleine conscience
Outil de niveau
Le lait qui déborde

Mesures de l'excès

« La vertu du catch, c'est d'être un spectacle excessif. [...] Au catch, rien n'existe que totalement, il n'y a aucun symbole, aucune allusion, tout est donné exhaustivement ; ne laissant rien dans l'ombre, le geste coupe tous les sens parasites et présente cérémonialement au public une signification pure et pleine [...]. Ici et là, une lumière sans ombre élabore une émotion sans repli », analysait Barthes dans ses Mythologies. De nombreuses autres activités sociales, particulièrement codifiées, auraient pu se voir appliquer la même formule (la corrida, les vacances, plus anciennement la guerre, le carnaval ou les jeux du cirque). Mais une chose est certaine : ces protubérances passagères qui pouvaient paraître, il y a soixante ans, limitées dans le temps comme dans l'espace n'en finissent pas de prendre de l'importance et de se généraliser jusqu'à s'immiscer dans l'ensemble du champ des (pré)occupations humaines.

De ce fait même et paradoxalement, les activités excessives en soi, celles qui débordent notre habituel champ d'être-au-monde, ne le sont plus autant qu'auparavant, car la vie même, dans sa quotidienneté, sa progression irréversible et lancinante, est devenue excès - un excès permanent caractérisant nos sociétés occidentales et qui ne semble plus connaître aucune limite. La vie n'est plus qu'une boursouflure perpétuelle. Quel que soit l'angle sous lequel on considère la question, le constat est identique : l'eau est en ébullition permanente, et la casserole déborde tous les jours un peu plus. Ainsi chaque entretien (écrit, radiophonique ou télévisuel) avec une « personnalité » est-il nécessairement « exceptionnel », chaque information (?) une « révélation » et chaque événement [sic] un « tournant ». Ainsi encore de nombreuses notions finissent-elles par n'en former souvent plus qu'une avec celles qui n'en étaient précédemment que les versions marquées du sceau de l'excès (l'érotisme et la pornographie, la curiosité et l'intrusion, la sincérité et l'alexithymie), rendant pour le moins délicate la possibilité de placer un quelconque curseur et de dire lorsque cela va trop loin. De cet état de fait découle un nivellement à la fois par le haut et par le bas de toutes activités humaines, que l'on nous demande de juger selon un système de valeurs délirant équivalant au sens propre à un « toutes choses étant égales par ailleurs ». La « dégradation » de la note de la France par quelques cols blancs de Standard & Poor's ou Moody's produira (c'est en tout cas la vieille antienne que l'on nous vend) un cataclysme équivalent à celui de la disparition des dinosaures. Les sanctions financières à l'égard de la Russie également. L'arrivée de l'Intelligence Artificielle aussi. Et chacun de s'apeurer.

Triste constat. Le monde reste ce qu'il est, - et heureusement. « L'excès est une preuve d'idéalité », assénait Flaubert. C'était sans doute le cas à l'ère des romantiques ou des grands combats du XXe siècle ; on aimerait aujourd'hui une société un peu plus exercée à l'art de la (demi-)mesure.

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