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Arras. Un an après

Le ciel n'a pas bougé et le soleil non plus. Seuls les Hommes ont un peu passé, un peu vieilli, un peu jauni. Leurs épaules se sont voûtées, leurs rides se sont creusées - leur regard, lui, n'a pas varié. ​

Car leur regard interroge, sonde, tente de comprendre. Mais tout est dit, et l'on vient trop tard. Une couche d'une épaisseur insondable s'est déposée lourdement sur leurs vêtements ; au début c'était une carapace, mais maintenant plus tout à fait. C'est comme une seconde peau, qui parfois tente de remplacer la première. Cette peau, c'est l'habitude. Elle leur va si bien qu'ils auraient presque tendance à s'en accommoder, à la laisser prendre la place de la première, si les soubresauts de l'actualité ne venaient périodiquement les rappeler à la vie. 

Un an après, ils sont tous là. Ses amis, sa famille, ses collègues, ses élèves. Tous ? Pas tout à fait. Certains sont partis, qui étaient venus faute de mieux (Agnès Pannier-Runacher), remplacés par d'autres jugés plus importants (Didier Migaud, Bruno Retailleau, Anne Genetet). Le Roi, lui, est absent. Comme l'était son footballeur national trois jours avant, parti danser de peur de rester à bord d'un paquebot qui se brise. 

Arras, place des Héros. Le ciel n'a pas bougé et le soleil non plus. 

Pour secouer l'horizon et faire frémir l'orage qui mettrait enfin un terme à des journées de ce genre, chacun a ses solutions. Des mots-types sont employés : islamisme, fondamentalisme, immigration, charia. Et aussi : fermeté, frontières, intraitable. Parfois aussi, pour les plus modérés : éducation, contrat social, pacte républicain. La vérité est qu'on ne sait comment user de tous ces mots. Ils nous côtoient tous les jours sans que nous sachions même quoi y mettre : notre esprit est ailleurs, notre esprit est absent. Absorbé par d'autres questionnements qui s'entrechoquent parfois, se combattent, s'excluent réciproquement tout en se combinant épisodiquement, aucun d'entre eux ne parvenant à lui seul à saisir le phénomène et à y mettre un terme (pardon au lecteur pour cette syllepse devenue monnaie courante). 

Demain, lundi 14 octobre, une série d'actions sera programmée dans les établissements scolaires français en mémoire de Dominique Bernard et de Samuel Paty. De nombreuses insuffisances sont d'ores et déjà perceptibles, à commencer par le fait que l'organisation comme le contenu de ces actions seront laissés à la libre appréciation des chefs d'établissement. Est-ce là véritablement une façon de "saisir le problème à la racine" en "partant de la base", comme le veut l'expression convenue ? Gageons que l'expérience montrera surtout les insuffisances devenues chroniques d'un management décentralisé - chacun y allant (ou pas ?) de son action, en priant intérieurement pour qu'aucun débordement ne vienne ternir la sacro-sainte "unité républicaine" qui, comme chacun sait, est au fondement même des préoccupations de nos élèves. 

Certains redoutent la journée de demain, d'autres l'attendent, d'autres s'en foutent. Certains, même, ignorent qu'elle aura lieu, tant la communication ministérielle a été erratique. Rue de Grenelle non plus, le ciel n'a pas bougé et le soleil non plus. 

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