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Malville

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S'inscrivant dans le sillon du Malevil de Robert Merle, le nouveau roman d'Emmanuel Ruben propose une plongée dans une France post-apocalyptique, à mi-chemin du récit d'anticipation et du récit d'apprentissage. Un sombre tableau qui présente toutefois plusieurs limites.

Emmanuel Ruben, Malville, Paris, Stock, 2024

265 pages, 20.90 €

Aux sombres héros du nucléaire...

« Vous qui entrez, laissez là tout espoir » : ce n'est pas à Dante mais à Emmanuel Ruben que l'on pourrait sans mal attribuer la paternité de cette phrase, tant la France et le monde de 2036 que décrit Malville semblent offrir au lecteur le panorama exact de ce qu'il faudrait redouter. Pêle-mêle : une catastrophe nucléaire, un État totalitaire gouverné par l'extrême-droite ou encore des libertés et des interactions sociales de plus en plus réduites (en témoigne l'épigraphe de Vassili Grossman tirée de Vie et destin : « Il y a une ressemblance hideuse entre les principes du fascisme et les principes de la physique moderne »). Le tout sur fond de querelles familiales et de marasme économique et sociétal intenses. On a connu plus réjouissant.

Offrant au lecteur plusieurs parcelles d'existence alternées qui sont autant d'occasions de sauts dans le temps, le récit s'articule autour de la figure de Samuel, personnage principal et narrateur, décrivant ses journées et ses rêveries d'enfant et d'adolescent, coincé entre deux figures parentales peu enclines à s'attacher à son développement personnel - ces parents se trouvant, dans la suite du récit, dédoublés sous la forme de deux autres personnages charismatiques : Thomas et Astrid, qui forment le couple d'adolescents idéaux (libres, ouverts et révolutionnaires dans l'âme) auquel Samuel n'aura jamais véritablement l'occasion de prendre part. De plus en plus en délicatesse avec l'autorité de son père travaillant dans la centrale nucléaire avoisinante et de plus en plus fasciné par ce duo aussi rebelle qu'improbable, Samuel finira par s'attaquer au propre comme au figuré à ces deux figures tutélaires toxiques.

Osons le dire dès l'abord : l'ouvrage a tout ou presque du roman à thèse, serti des immenses faiblesses que ce genre recèle. La trame de départ étant non seulement dans l'air du temps mais surtout bâtie sur l'a priori d'un consensus (autre nom prêté à la démagogie), Emmanuel Ruben ne se prive pas de tapisser (bien maladroitement) ses pages de jugements aussi définitifs que mal exprimés (« Il y avait pourtant de nombreux signes annonciateurs de la catastrophe à venir, comme il y avait de nombreux avertissements de la victoire prochaine du fascisme et du complotisme »), et qui en dévaluent inconsidérément l'intérêt. Qu'on en juge : « toute la France vivait alors dans le culte du nucléaire. J'ai moi-même été longtemps fasciné par cette industrie que nous étions nombreux à considérer comme propre, durable et patriotique, la meilleure garantie de notre indépendance énergétique et militaire. Des foutaises : nous savons tous qu'il n'y a pas une miette d'uranium dans notre sous-sol et que le nucléaire produit des déchets toxiques qui nous survivront des millions d'années ! » Par-delà la théorie exprimée et dont chacun sera juge, qu'y a-t-il à sauver d'un développement de ce type ? Certes ni le lexique (d'une banalité affligeante), ni la syntaxe (aussi travaillée que celle d'un manifeste syndical). Même la ponctuation (pourtant très simple) ne parvient pas à donner le change - en totale contradiction avec l'état d'esprit du narrateur tel que les pages suivantes le décrivent. Allons, ne jugeons pas trop vite : sans doute s'agit-il d'une facilité passagère (bien dommageable du reste dans une première page). Mais que nenni : quand il ne cède pas aux facilités d'un style qui n'en est pas un et qu'Amélie Nothomb ne renierait pas, l'auteur décide subitement d'endosser le costume (bien trop grand pour lui) du lyrisme le plus scolaire. Ainsi les descriptions de promenades dans la forêt : autant d'occasions, semble-t-il, de remplir des pages. Mais n'est pas Chateaubriand ou Gracq qui veut : « plus loin commençait le large royaume du fleuve avec ses rives boisées d'aulnes et ses peupleraies, ses panneaux jaunes ATTENTION DANGER et ses écriteaux rouges BAIGNADE INTERDITE, ses limaces et ses sangsues, ses moustiques voraces et ses crapauds venimeux, ses champignons toxiques et ses serpents visqueux, ses silures géants et ses brochets carnassiers, ses affluents bourbeux, ses vasières et ses roselières, ses îles et ses îlots, ses anciens et ses nouveaux méandres, ses haies vives et ses prairies humides, ses bras morts et ses sables mouvants. Ses sombres légendes et ses histoires vraies. » Certes, le chiasme final rehausse un peu l'ensemble : mais c'est cher payé pour une formule peu magique... « Tantôt c'était un paysage étroit et sombre, obstrué de racines moussues, de troncs morts et de branchages, et il nous fallait frayer notre passage à coups de pagaie comme dans une mangrove ou un bayou. Tantôt c'était un paysage ouvert et lumineux, une immense clairière où le fleuve déployait ses vastes eaux turquoise contre la surface lacustre, le soleil au zénith adoucissait les contrastes, toute ombre était abolie » : l'auteur semble bel et bien un lycéen payé à la ligne. 

Reste, pour le lecteur, à guetter le moindre signe d'une possible originalité (narrative, stylistique ou autre) afin de donner à l'œuvre la possibilité de se démarquer et (enfin !) de l'embarquer. Las ! les pages défilent lentement, mais que dire des minutes ? Chaque possible narratif subrepticement entrevu (nouveau personnage, action « inattendue »...) se solde par une impasse, ou l'attente irrémédiable de l'épisode suivant. Tout lecteur, aussi peu habitué soit-il au roman contemporain, devine aisément ce que réserve la page qui suit, ainsi (et c'est plus grave) que la finalité de l'ouvrage. Quoique cette démarche soit acceptable voire recherchée dans certains genres (tragédie, poésie...), on en attend davantage d'un roman qui se présente sous les atours d'une démarche contestataire, pour ne pas dire visionnaire. Si les emprunts et les imitations sont nombreux, tant dans le fond (Orwell, Merle, Kafka) que dans la forme (Rimbaud, Camus), les modèles ont ici le grand tort de rester ce qu'ils sont : des exemples sinon indépassables, du moins cruellement indépassés. 

Benoît Abert. Tous droits réservés.

En France, l'anticyclone des Açores offre une authentique barrière de protection : il bloque en effet toutes les perturbations venant de l'est.

Lorsqu'elle a vu le panneau STOP clignoter sur les frontières orientales de la France, ma mère s'est énervée : 

- Dès qu'ils parlent du nucléaire, c'est toujours la même chose, ils mentent comme ils respirent. La France est le pays du mensonge. 

Mon père a saisi la télécommande et pressé le bouton rouge : 

- De toute manière, les mômes ne devraient pas regarder ça. Ils vont se mettre à avoir des idées.

La métamorphose est devenue notre réalité. Nous mutons tous les jours, nous nous métamorphosons d'année en année. Nous vivons comme ces insectes au bord de l'extinction. Nos yeux qui nous relient à nos écrans prennent plus de place sur nos visages, nos doigts s'allongent à force de pianoter sur nos tablettes, nos cervicales se déforment, nos abdominaux s'affaissent, nous souffrons de douleurs lombaires. Bientôt nos jambes ne sauront plus nous porter.

L'année 1945 n'a pas vu la fin de l'ère fasciste, nous enseignait le professeur Stern, elle a vu au contraire sa perpétuation et sa généralisation dans l'ère du totalitarisme atomique. Le fascisme disparaîtra le jour où l'énergie atomique aura disparu, le jour où nous aurons oublié - ou dépassé - les principes mêmes de la physique nucléaire. La fissions de l'atome a entraîné la fission de l'être. il nous faut apprendre à devenir des êtres entiers, des individus libres, autonomes, capables de choisir leur destin.

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